Istanbul. Une belle jeune femme sort précipitamment d'un hôtel de luxe, dans lequel elle vient de poser une bombe. Cet hôtel, elle le connaît bien : depuis des mois, elle s'y prélasse au bord de la piscine, avant de rejoindre, dans la somptueuse suite 432, Sinan, son amant, avec qui elle se livre à tous les excès : sexe bestial, drogue, alcool ; tous les paradis artificiels sont bons pour échapper à l'ennui qui oppresse cette Occidentale désœuvrée.

    Pourquoi cette bombe, alors ? S'agit-il d'un attentat politique ? D'une vengeance contre Sinan, cet homme égoïste et narcissique qui passe son temps à la dénigrer ? D'un acte gratuit ?

     Et d'ailleurs, la bombe a-t-elle réellement explosé ? Même si elle en doute, Ophélie se cache. Terrée chez elle, elle attend, fébrile, l'arrivée de la police qui viendra l'arrêter.

     Mais en lieu et place de policiers, Ophélie va recevoir plusieurs visites inopinées, qui la conduiront sur la route des Dardanelles, dans un road trip burlesque et endiablé, fait d'improbables rencontres et de rebondissements inattendus...

 

     Dans un contexte médiatique saturé d'attentats et de revendications terroristes en tous genres, écrire un roman sur une poseuse de bombe est un sacré défi, et un pari plus que risqué. Pourtant, Clarisse Gorokhoff s'en sort haut la main, et son premier roman est une véritable petite "bombe" littéraire, pourrait-on dire en jouant sur la polysémie du titre.

     Dès les premières lignes, l'écriture puissante, ciselée et originale de Clarisse Gorokhoff nous emmène dans le sillage d'Ophélie, cette écorchée vive aux motivations obscures, qui se dévoilera au fil des pages, en évoquant par bribes ses souvenirs récents ou lointains. Personnage complexe, dont les actes et les réflexions déconcertent par moments le lecteur, Ophélie se révèle finalement attachante, voire touchante par ses nombreuses failles, vestiges d'une enfance difficile où elle a été totalement délaissée par sa mère, ce qui explique son dévouement pour Sinan, cet amant qu'elle idolâtre et qu'elle déteste à la fois, qui l'humilie mais qu'elle n'arrive pas à quitter pour se protéger. Et c'est peut-être le tour de force majeur de roman : réussir à nous faire prendre parti pour une jeune femme a priori détestable, puisqu'elle n'hésite pas à faire périr des innocents dans un attentat injuste.

     Si le caractère de l'héroïne est particulièrement bien travaillé, les personnages secondaires sont tout aussi intéressants, voire fascinants, en particulier la sulfureuse Derya, une sublime servante kurde, qui subjugue tout autant Ophélie que Sinan, et qui va bouleverser le destin des deux amants. Dans la deuxième partie du roman, elle semble s'effacer pour laisser place à Orta, à la personnalité haute en couleurs, et qui vient apporter à l'intrigue un souffle de légèreté et d'humour. Seul Sinan, évoqué du seul point de vue des autres personnages, manque peut-être un peu à la fois de consistance et de subtilité : tout semble fait pour le diaboliser, et son caractère de pervers narcissique est un peu trop affirmé pour être entièrement crédible.

     L'intrigue, quant à elle, est fort bien menée, maîtrisée de bout en bout, alternant savamment entre gravité et rocambolesque, entre sérieux et dérision. On regretterait presque qu'elle ne se poursuive pas davantage, tant l'écriture de Clarisse Gorokhoff est envoûtante. Ce serait bien le seul reproche que l'on pourrait adresser à ce roman : que sa longueur réduite le conduise à occulter la dimension politique amenée par la question kurde, qui est finalement à peine évoquée. Mais cela reste un léger bémol : après tout, les motivations de l'héroïne sont bien plus complexes qu'une brutale revendication politique, et c'est un parti pris finalement assez rafraîchissant en ces temps de terrorisme omniprésent.

     Voici donc un premier roman brillamment réussi, qui a su allier une intrigue puissante et rythmée à un style remarquable et grisant, ce qui laisse présager une belle carrière littéraire pour la jeune Clarisse Gorokhoff.    4 étoiles

 

Ouvrage reçu dans le cadre de l'opération Masse Critique. Un grand merci à Babelio et aux éditions Gallimard.

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