Se lever aux aurores, s'habiller en vitesse, attraper ses clefs, courir pour ne pas manquer le RER, se tasser parmi la foule des travailleurs de l'aube déjà fatigués, changer de train, se presser pour arriver avant la sonnerie, accueillir ses élèves avec bienveillance et dynamisme, quelles que soient les circonstances... Thomas Debord, professeur de lettres dans un lycée classé ZEP, perdu au fin fond de la banlieue parisienne, n'en peut plus.

     Un matin, il décide de se rendre au lycée avec une arme, et prend une douzaine d'élèves de 1re en otage. Que lui ont-ils fait ? Eux, rien. D'ailleurs, il n'a pas l'intention de leur faire de mal. C'est à l'institution qu'il en veut. À la société. Aux médias. À ce ministère qui demande aux enseignants de faire toujours plus avec toujours moins, qui les rend responsables de l'échec des élèves qu'il entasse dans des classes à 35, qui leur impose des règles absurdes, des mutations injustes, qui les envoie, parfois sans formation, affronter des classes difficiles, et qui leur interdit de se plaindre de leurs conditions de travail, car il ne faut surtout pas « faire de vagues ».

     Après des années à militer sur les réseaux sociaux et sur son blog, Thomas a compris que l'indignation virtuelle n'émouvait personne, surtout pas les autorités. Alors, cette fois, pour être entendu, il a opté pour une solution radicale. Sa revendication est simple : il veut voir le ministre.

     Mais entre l'emballement médiatique, la folie des réseaux sociaux, les négociations épuisantes menées par les stratèges aguerris du RAID, et l'hostilité de ses propres élèves, qui se sentent trahis et ont du mal à comprendre sa démarche, Thomas n'imagine pas encore à quel point il sera dur de se faire entendre...

 

     Cela fait longtemps que l'on parle du malaise enseignant. Longtemps que tout le monde sait que les "profs", comme on les appelle familièrement, sont à bout : mal payés, déconsidérés, parfois méprisés par leurs élèves, les parents, leur propre ministre, la société entière, accusés d'être toujours en grève ou en vacances, ils sont beaucoup à envisager de quitter le navire. Cela fait longtemps, donc, qu'on sait tout cela. Longtemps, et pourtant rien ne change, si ce n'est dans le mauvais sens. 

     C'est pourquoi le héros de ce roman décide de faire un choix aussi fou que dangereux : pour être entendu, en France, il n'y a pas de secret, il faut mobiliser du temps d'antenne à la télé et susciter la polémique sur les réseaux sociaux. Plus ça buzze, plus ça indigne, plus ça fait peur, et plus ça fonctionne. Et pour cela, quoi de mieux qu'un enseignant au bord du burn-out retranché dans un préfabriqué avec une dizaine d'élèves innocents pris en otage ?

     Voilà donc une idée plutôt originale pour ce roman co-écrit par deux enseignants qui dressent un constat amer mais parfaitement juste sur le métier de professeur aujourd'hui, et sur le fonctionnement de la société. C'est d'ailleurs le grand point fort de ce roman : la parodie des réseaux sociaux et des médias est particulièrement réussie, et l'on y retrouve notamment ce café du commerce qu'est devenu Twitter (le pastiche est d'ailleurs fignolé dans les moindres détails, par exemple sur le choix des pseudos ou des hashtags, à tel point qu'on se demande par moments si ce ne sont pas des captures d'écran et non des tweets inventés) et les chaînes d'informations en continu, BFM TV en tête (satire franchement jubilatoire, même si la chaîne est devenue une cible facile ces dernières années).

    La construction du personnage principal est elle aussi intéressante, presque vertigineuse : le blog de Thomas Debord, évoqué à plusieurs reprises dans le roman (ne serait-ce que dans le titre), existe réellement, et a été alimenté pendant de longs mois comme s'il s'agissait d'un véritable blog d'enseignant. Même chose avec son compte Twitter, qui a su maintenir parfaitement l'illusion et auquel des centaines de personnes se sont abonnées en pensant échanger avec un professeur de ZEP en chair et en os. On a rarement vu un être de papier avoir une existence si concrète, fût-elle, aussi paradoxal que cela puisse paraître, simplement virtuelle.

     Cependant, même si l'intrigue est intéressante, l'ensemble demeure un peu superficiel, notamment dans la deuxième partie du roman où le rythme et les idées semblent un peu s'essouffler. L'intrigue se met à piétiner, les chapitres sont moins bien construits, et les caractères des personnages secondaires, nombreux (le proviseur, les élèves, le négociateur du RAID, la journaliste...) sont également trop rapidement esquissés et semblent bien fades vis-à-vis du héros, d'autant qu'ils disparaissent quasiment tous de l'intrigue une fois terminé le chapitre qui leur est consacré.

     Côté style, rien de bien flamboyant, même si l'on peut apprécier de retrouver çà et là la patte de celui que l'on connaît mieux sous le pseudonyme de Monsieur Le Prof sur Twitter et Facebook. L'ensemble se lit tout de même agréablement, mais l'œuvre aurait été bien plus percutante si elle avait été davantage approfondie, en particulier dans les derniers chapitres, qui s'enchaînent beaucoup trop rapidement et donnent l'impression d'une fin bâclée, mal préparée et finalement peu convaincante.

      En somme, voilà un roman intéressant, plutôt prenant malgré quelques longueurs, mais qui aurait gagné à être davantage travaillé, notamment sur la fin. Poursuivez vos efforts, Monsieur Le Prof, vous pouvez mieux faire. 2.5 étoiles.

Ouvrage reçu en service de presse. Un grand merci aux éditions Flammarion et à Monsieur Le Prof.

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