Dans un Japon passé sous le coup d'un régime totalitaire et fortement militarisé, la population n'a jamais été aussi divisée : les adolescents ont perdu tout respect pour les adultes, et adoptent des comportements ultra-violents qui inquiètent les élites du pays. Pour pallier cette menace intérieure, le gouvernement a mis en place une riposte musclée avec l'instauration du programme nommé "Battle Royale" : chaque année, une classe de troisième est tirée au sort et envoyée dans une petite île du pays, vidée provisoirement de ses habitants, afin de s'y livrer à un combat sans merci. Les règles en sont très strictes : le "jeu" dure 72 heures, au cours desquelles les élèves, munis chacun d'une arme plus ou moins puissante distribuée aléatoirement, doivent s'entre-tuer, jusqu'à ce qu'il ne reste plus qu'un survivant, déclaré vainqueur et autorisé, du moins officiellement, à retrouver sa famille. Les participants sont en outre pourvus d'un collier équipé d'une bombe, qui se déclenche automatiquement s'il reste plus d'un survivant à la fin du temps imparti, si le participant tente de s'enfuir, ou s'il pénètre dans l'une des zones déclarées "interdites", qui se multiplient au fil des heures afin d'obliger les élèves à sortir de leur cachette et à s'affronter. Alors qu'ils pensaient partir en voyage scolaire, Shuyâ et les autres élèves de sa classe se réveillent dans une école désaffectée, entourés de militaires. Ils ont été sélectionnés pour participer au programme. Au début, tous refusent de croire que l'on va vraiment les obliger à s'entre-tuer, mais lorsque deux de leurs camarades sont tués sous leurs yeux par les soldats, à titre d'exemple, le doute n'est plus permis. Dès lors, l'affrontement peut commencer, et certains s'inquiètent d'autant plus qu'ils ont noté la présence, parmi eux, d'un élève plus âgé et visiblement là pour respecter à la lettre les règles de ce jeu sordide. Tout l'enjeu du roman se retrouve condensé dans les différentes stratégies adoptées par les élèves : vont-ils renoncer à se battre contre leurs propres camarades et amis, ou au contraire, vont-ils se montrer prêts à tout pour survivre , Shuyâ est persuadé que tous vont se ranger à la première option, plus sensée, mais dès sa sortie de l'école, il découvre le corps sans vie d'une élève : le jeu a bel et bien commencé...

 

Version "moderne" de Sa Majesté des mouches, Battle Royale n'est certes pas un roman comme les autres : à la fois roman d'anticipation, roman gore et thriller, il assume et dépasse toutes ces catégories pour constituer une oeuvre unique, haletante, avec une intrigue parfaitement menée sur plus de six cents pages. Car le lecteur, lui aussi, se prend au jeu macabre, compte les morts, puis les survivants, qui se font toujours moins nombreux (comme le signale aimablement une petite note à la fin de chaque chapitre), il prend parti pour un trio improbable de héros, formé de Shuyâ, Noriko, une jeune fille fragile mais pleine de générosité, et Kawada, un garçon énigmatique, solitaire, et qui connaît très bien le fonctionnement du jeu... pour y avoir déjà participé. Ces trois personnages, au caractère complexe, vont tenter l'impossible : s'en sortir vivants ensemble, ce que le règlement interdit normalement. Dès lors qu'ils imaginent ce projet insensé, le lecteur se met à trembler pour eux, car les ennemis sont nombreuxBattle-Royale.jpg, et le moindre mouvement peut se révéler fatal sur cette île remplie d'anciens élèves de troisième devenus des tueurs sanguinaires et sans scrupules. Alors, bien entendu, il faut pouvoir supporter une certaine dose de descriptions gores lorsqu'on s'attaque à ce roman, car l'auteur est fermement décidé à ne rien épargner à son lecteur en matière  de meurtres particulièrement violents, voire morbides ; mais paradoxalement, il n'y a jamais, dans ce roman, de violence gratuite, au contraire : ce déferlement de violence sert le propos de l'auteur, qui place son intrigue dans un Japon dépassé par les comportements extrêmes de sa jeunesse, ce qui n'est pas sans rappeler certaines préoccupations politiques d'aujourd'hui... Le rythme est soutenu tout au long du roman, alternant heureusement scènes d'action à l'issue souvent fatale et dialogues plus calmes qui permettent de mieux cerner les différents personnages (ce qui n'est pas plus mal, car le lecteur non familiarisé avec les romans nippons peut avoir quelques difficultés à retenir de prime abord quarante-deux noms et prénoms japonais...). Certains reprochent au livre de trop s'étendre sur les dialogues qui ralentissent nécessairement l'action, et lui préfèrent donc le film, mais c'est bien plutôt ce dernier qui prend le parti de juxtaposer pratiquement sans interruption les scènes d'action, au détriment des personnages, de la construction de l'intrigue, et donc du spectateur, qui ne peut ni s'identifier aux héros, ni découvrir tout l'enjeu politique mis en place dans le livre, avec ce Japon fasciste en guerre froide avec les États-Unis, qui vit pratiquement coupé du monde et où l'armée semble régner en maître... Les lecteurs peu pressés préféreront donc le livre, ce chef-d'oeuvre de cruauté où le camarade et ami d'hier est l'ennemi d'aujourd'hui.   3,5 étoiles

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