Une lande désolée, balayée par les vents, où les nuages menacent à chaque instant d'éclater, voici le paysage inquiétant où se niche Wuthering Heights, Les Hauts de Hurle-Vent en français, demeure ancestrale de la famille Earnshaw, qui y coule des jours paisibles jusqu'au soir où le pater familias revient de Liverpool les bras chargés, non des cadeaux réclamés par ses enfants Catherine et Hindley, mais d'un petit bohémien orphelin, âgé de six ans et baptisé Heathcliff. De ce jour, la vie change du tout au tout à Hurle-Vent : Hindley Earnshaw, délaissé par son père au profit de son frère adoptif, conçoit une haine et un mépris inextinguible pour ce dernier, tandis que Catherine, plus mesurée, alterne entre froide indifférence et franche camaraderie. Heathcliff, cachant son amour pour la jeune et orgueilleuse Catherine, endure les brimades répétées de Hindley qui ne tardent pas à se transformer en jeu cruel à partir de la mort du père. Les mois passent, et  Hindley épouse une jeune femme aussi détestable que lui, qui meurt peu après la naissance de leur fils, Hareton. Fou de chagrin, Hindley sombre peu à peu dans l'alcoolisme et devient plus irritable que jamais. Catherine tente alors d'arranger les choses en épousant l'héritier d'une riche famille des environs, les Linton, pensant que son nouvel époux adoptera Heathcliff comme un frère et le soustraiera à la méchanceté de Hindley, mais Heathcliff ne comprend pas la manoeuvre et disparaît, le coeur brisé par l'annonce imprévue de ce mariage avec celle qu'il aime depuis toujours. Dès lors, il n'aura plus qu'une idée en tête : se venger de cette famille Earnshaw qui l'a méprisé et rejeté...

 

Ne vous fiez pas au bandeau apposé - hélas ! - par l'éditeur pour vendre ce grand classique de la littérature anglaise aux adolescentes pré-pubères gorgées d'amours vampiriques : ce livre mérite sa place sur l'autel des plus grands romans jamais écrits, à tel point que jusqu'à ce jour, son succès, critique comme public, ne s'est jamais démenti, malgré un accueil initial plutôt froid, dû en grande partie à la noirceur des personnages. Car on est bien loin ici des romans insipides où les personnages sont rapidement catalogués en "bons" et "méchants" : ici, mis à part peut-être le narrateur et la femme de charge, Nelly, tous les personnages sont antipathiques, Hurlevent.jpgorgueilleux, arrogants, égoïstes... De génération en génération, le lecteur suit cette famille hors du commun, frappée par la malédiction de l'un des siens, qui a décidé de tourmenter tous ses proches sans leur laisser de répit. La chronique de cette vie particulièrement sombre et incroyablement complexe (l'arbre généalogique placé à la fin de la préface se révèle à plusieurs reprises fort utile, en particulier lorsque se multiplient les Catherine et les Linton !), est étrangement fascinante pour le lecteur, qui est tour à tour séduit et horrifié par cette intrigue où la haine et la vengeance se mêlent à l'amour porté à son paroxysme. Deux personnages, moins sombres que les autres, sont tout particulièrement savoureux : Nelly Deans, soeur de lait des enfants Earnshaw, qui a passé sa vie au service de la famille, et connaît mieux que personne leurs petits travers, travers dont elle n'est pas toujours exempte elle-même, lorsqu'elle trahit la confiance de la fille au profit du père, ou encore lorsqu'elle se montre indiscrète, cédant à la tentation du commérage ; le second est Joseph, lui aussi au service de la maison sur plusieurs générations, toujours prompt à prendre le parti du maître, quitte à le dénigrer une fois celui-ci destitué de ses propriétés, dans un rôle de domestique au parler absolument délicieux (et admirablement rendu par la traduction). Le style est magistral d'un bout à l'autre du roman, alternant descriptions incroyables des paysages ou des bâtiments et narration ciselée où les récits enchâssées donnent du rythme et de la profondeur à l'oeuvre. En revanche, si vous ne voulez pas connaître d'avance toute l'histoire, et au cas où vous n'auriez pas vu les adaptations cinématographiques ou télévisuelles, ne lisez surtout pas la quatrième de couverture, qui dévoile presque l'ensemble de l'oeuvre, même si ce n'est qu'à mots couverts. Frappant, bouleversant, dérangeant, troublant, les qualificatifs ne manquent pas pour désigner ce roman écrit par une jeune fille de dix-neuf ans à peine, et qui semble pourtant parfaitement connaître les plus noirs tourments de l'âme humaine. Un monument du genre qui n'a rien perdu de sa puissance ni de son universalité.     5 étoiles

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