New York, 1975. La vie de Shaltiel Feigenber, juif new-yorkais issu de la classe moyenne, bascule le jour où il est enlevé à Brooklyn, par deux activiste pro-palestiniens. Si l'événement, qui s'est pourtant produit en plein jour, dans l'un des quartiers les plus fréquentés de la ville, n'a pas pu être empêché par les passants ou la police, c'est qu'il s'agit là d'une affaire sans précédent : c'est la première fois qu'une prise d'otage de ce genre se produit directement sur le sol américain. Les revendications des deux ravisseurs ne sont pourtant pas très claires : après avoir compris que Shaltiel, modeste conteur, sans relation ni fortune, ne pourrait pas motiver une demande de rançon suffisante, ils décident d'échanger sa vie contre celle de trois de leurs compatriotes emprisonnés en Israël et aux Etats-Unis. Le FBI s'en mêle, les passions politiques se déchaînent, les médias se chargent de relayer l'information... Partout dans le monde, les messages de soutien à la famille affluent, mais l'Etat hébreu décide de rester ferme et de refuser catégoriquement toute négociation avec les ravisseurs, craignant que leur succès ne fassent des émules. Bien loin de toute cette agitation, Shaltiel, reclus dans une cave, les mains entravées et les yeux bandés, se souvient de son passé en Europe : son enfance, en Transylvanie, marquée par la déportation, en 1942, des habitants de son ghetto ; la fuite clandestine, en URSS, de son frère aîné, membre du Parti communiste ; sa propre survie dans la cave d'un comte allemand affilié aux nazis mais passionné d'échecs ; la libération de la ville par l'Armée rouge ; ses retrouvailles avec son père et son oncle, rescapés d'Auchwitz, puis l'émigration de la famille aux Etats-Unis... Autant de souvenirs qui constituent les derniers vestiges d'une mémoire que les oppresseurs tentent de réduire définitivement au silence.

 

On pensait avoir tout dit, et a fortiori tout lu, sur les rescapés des camps, la Shoah, l'intégration des Juifs dans le monde, la diaspora juive, les rapports toujours tendus entre Israël et la Palestine, l'antisémitisme au quotidien... Et pourtant, Elie Wiesel, célèbre, entre autres, pour son témoignage saisissant sur son expérience des camps otage.jpgnazis dans La Nuit, parvient à réunir tous ces thèmes, à les transfigurer, et à leur donner un éclairage neuf dans son nouveau roman, sobrement intitulé Otage. Par le biais de souvenirs et de réminiscences évoqués par le héros, Elie Wiesel nous donne à lire l'une des plus belles oeuvres contemporaines sur la résistance face à l'oppression sous toutes ses formes, face à l'antisémitisme et au terrorisme. On apprécie d'autant plus, dans ce roman écrit d'une main de maître, l'absence de manichéisme primaire qui tendrait à faire du Juif, quel qu'il soit, une victime éternelle de la cruauté des hommes, et des Palestiniens de potentiels bourreaux : grâce à la présence d'un deuxième ravisseur, incarné par un Italien surnommé Luigi, les rapports entre otage et bourreaux se complexifient, et passent de la haine mutuelle à la compréhension, voire à l'amitié. A tel point que le lecteur finit par se demander qui est vraiment l'otage dans ce récit, si c'est Shaltiel, pauvre conteur dépassé par les revendications politiques de ses ravisseurs et les enjeux stratégiques d'une collaboration délicate entre États-Unis et Israël, ou si c'est le tortionnaire arabe, aveuglé par sa haine de l'État hébreu, et par son combat, de toute façon voué à l'échec dans la mesure où il n'a pas les moyens de lutter, seul, contre le géant israélien. Une splendide réflexion sur les rapports humains, navigant entre passé et présent, entre camps de la mort et conflit israélo-palestinien, écrite dans un style sobre, incisif et pourtant souvent poétique, jamais simpliste, jamais dogmatique ni de parti pris, mais tout simplementbouleversante.  4 étoiles

 

Ce livre a été chroniqué dans le cadre d'un partenariat avec Chroniquesdelarentréelittéraire.com et Ulike.

 

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