A l'occasion de ses soixante ans, Roland de D., professeur allemand de philologie, reçoit de la part de ses étudiants un livre hommage contenant l'intégralité de sa production, articles, ouvrages, discours. Mais il y manque pourtant un point essentiel, l'événement qui lui a donné l'envie de se lancer dans la recherche et l'enseignement, la rencontre fondatrice dont il garde le secret enfoui en lui-même : cette rencontre, c'est celle d'un professeur qui a suscité chez lui enthousiasme et admiration. Roland entreprend alors de rédiger le compte-rendu ce sa jeunesse pour, en quelque sorte, pallier ce manque dans ce livre qui retrace toute sa carrière universitaire : de ses excès de jeunesse dans les bouges berlinois à son attachement exalté pour son professeur, avec lequel il noue peu à peu et sans s'en apercevoir une relation ambiguë, faite d'émulation intellectuelle, d'admiration et de passion. A l'époque, encore tout jeune homme, il ne se rendait pas compte du tour que prenait leur rencontres, jusqu'au jour où le vieil homme finit par lui confier un brûlant secret...

  Un roman envoûtant sur les relations à la fois intellectuelles, amicales et amoureuses d'un élève et de son professeur, écrit tout en finesse et en poésie. Le style est magnifique d'un bout à l'autre (et la traduction excellente), Zweig a une excellente compréhension de la psychologie de ses personnages, le héros est attachant dans sa naïveté et son enthousiasme juvéniles... Bien sûr, il y a relativement peu de suspense dans cette oeuvre, puisque le lecteur peut deviner dès les premières pages (et dès la quatrième de couverture, d'ailleurs) l'issue du roman, la révélation finale, mais ce n'est pas tant l'intrigue qui importe que la façon dont elle est menée, avec de grands moments d'introspection et une relation faite d'attirance et de répulsion entre deux personnages plus proches qu'on ne pourrait le croire de prime abord. Zweig excelle à nous montrer cette relation naissante qui finit par dépasser les deux hommes, relation qui s'appuie également sur un troisième personnage, la femme du professeur, qui reporte sur Roland l'affection qu'elle ne peut plus donner à son époux, puisque ce dernier passe son temps à la fuir et vit avec elle dans un mariage de convention, destiné à détourner les soupçons de la société... L'auteur parvient d'ailleurs à livrer une remarquable analyse de celle-ci, qui rejette avec mépris et dégoût ce qui lui paraît contre-nature, transformant le héros et son professeur en marginaux conspués par tous. Un chef-d'oeuvre de l'écrivain autrichien qui, une fois de plus et quel que soit le sujet auquel il s'attaque, ne nous déçoit pas. A lire absolument !
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