Lorsque Luciano Mascalzone, tout juste libéré après avoir purgé quinze ans de prison pour actes de brigandage, revient à Montepuccio, village perdu niché au coeur des Pouilles, il sait qu'il vit là ses derniers instants. Résolu à posséder une dernière fois Filomela, son ancien amour, il se présente devant chez elle. La femme qui lui ouvre le reconnaît et s'abandonne sans résistance, mais il s'agit en réalité de la soeur de Filomela. Lorsqu'il ressort de chez elle, les villageois, bien résolus à punir le criminel de retour au pays, le lapident. Mais de cette union maudite naît Rocco, orphelin le jour même de sa naissance et recueilli, contre l'avis du village qui veut éliminer cet enfant du diable, par le curé, qui le confie à une famille de pêcheurs vivant dans le village voisin. Rocco grandit chez les Scorta et marche rapidement sur les traces de son père, devenant à son tour un vaurien et un hors-la-loi. Devenu riche, il épouse une jeune muette, avec qui il s'installe sur les hauteurs de Montepuccio. Bien qu'il soit respecté par les habitants en raison de sa richesse, ses enfants sont rejetés par la communauté des Montepucciens qui voient en eux des délinquants. Seul le petit Raffaele, fils d'une famille de pêcheurs, se lie d'amitié avec eux, malgré les menaces et les coups répétés de ses parents. A sa mort, Rocco surprend tout le monde, et en premier lieu le curé du village, en faisant don de tous ses biens à l'Église, résolu à ne rien laisser à ses enfants et à sa femme, sauf un acte ambigu : juste avant de s'éteindre, il passe sa main dans les cheveux de sa fille Carmela, dans un geste qui se veut à la fois une marque d'affection et une malédiction. Privés de toute ressource et de tout avenir dans le pays, les trois Scorta s'embarquent pour les Etats-Unis, résolus à y faire fortune. Quelques mois plus tard, ils reviennent à Montepuccio, où Raffaele leur apprend la mort de leur mère. Sur la tombe de celle-ci, Raffaele décide de devenir le quatrième Scorta, malgré son amour pour Carmela. Mais la malédiction de Rocco pèse encore sur la famille, et les Scorta ne vont pas ménager leurs efforts pour survivre coûte que coûte à Montepuccio...

 

Après nous avoir transportés dans une Antiquité imaginaire mâtinée de sagesse africaine, dans La mort du roi Tsongor, Laurent Gaudé nous fait découvrir avec ce roman les Pouilles, cette région méconnue du Sud de l'Italie, écrasée sous le soleil et la misère. Nous allons suivre, en quelques 250 pages, l'histoire d'une lignée maudite, les Scorta, de 1870 à nos jours. Avec ses nombreux personnages, répartis sur quatre générations, on pense immédiatement à Cent ans de Solitude, d'autant que la malédiction qui semble peser inexorablement sur la famille rappelle celle du roman de Garcia Marquez, sans parler de la narration, entrecoupée de scènes où Carmela scorta.jpgévoque l'histoire de sa famille sur le ton de la confession. L'écriture est une pure merveille à chaque page, portée par des descriptions sublimes des paysages italiens. En quelques pages à peine, le lecteur est happé par cette atmosphère torride, dans ce petit village misérable où, lorsque le soleil est au zénith, "les lézards rêvent d'être poissons". Les caractères sont particulièrement travaillés, ce qui constitue une véritable gageure en moins de trois cents pages, notamment celui du patriarche Luciano, réinvesti dans celui de Rocco, brigand pillant et violant sans vergogne mais qui déshérite toute sa famille au profit de l'Église, pour leur donner l'opportunité de repartir de rien, ce qui va en fait contribuer à les sauver de la malédiction familiale, en les obligeant à peiner toute leur vie pour survivre. Car s'il est bien une valeur qui tient tout ce roman, ce n'est pas l'argent, méprisé par les Scorta et vénéré par les villageois, mais la sueur, le travail, la peine chaque jour renouvelée pour sortir de la misère et de la disgrâce. Une histoire exceptionnelle, faite de larmes et de sang, où la chaleur humaine et la dignité chassent les difficultés et les douleurs, et avec laquelle Laurent Gaudé s'impose comme l'un des meilleurs écrivains contemporains, et n'est pas sans rappeler, notamment par son style, le grand Giono lui-même. Avec ses phrases au style parfois lapidaire et qui pourtant sonnent à chaque fois comme une évidence, Le Soleil des Scorta, qui mérite bien le prix Goncourt dont on l'a récompensé (et ce n'est pas le cas de tous les romans primés !), vous laisse, longtemps après cette lecture bouleversante et passionnante, un arrière-goût d'olives mûres, de terre aride et de pierres sèches, comme si vous aviez reçu un coup de soleil en plein coeur.   4,5 étoiles


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