Sous ce titre proverbial se cache une triste réalité : le chat qui dort, c'est Alex Brinton, un jeune homme de bonne famille, atteint d'une étrange phobie : la peur panique de descendre l'escalier de pierre de l'université de Cambridge où il est pensionnaire. Son médecin, un cartésien complètement dépassé par cette affaire, décide de l'envoyer chez un confrère psychiatre, le docteur Hugh Welchmann. Ce dernier remonte patiemment le fil des souvenirs d'Alex, au fil des consultations, afin de l'amener à découvrir le véritable traumatisme vécu dans son enfance et sans doute à l'origine de cette phobie. Lorsqu'il découvre l'atroce vérité, il est déjà trop tard : quatorze ans plus tôt, le jeune Alex a vu sa mère, alcoolique et névrosée, tomber du haut de l'escalier de pierre de la cave, dans la maison familiale. Or, cette mort, prétendument accidentelle, pourrait dissimuler un terrible meurtre : et si la mère d'Alex avait été poussée ? Si l'enquête, à l'époque, n'a pu être menée à son terme, les doutes et les suspicions pèsent toujours sur l'ensemble de la famille Brinton : le père s'est remarié peu après, avec l'infirmière qui soignait précisément sa femme, à la santé fragile, au moment du drame ; la fille aînée, qui vouait une haine assez inexplicable à sa mère, n'est pas en reste non plus ; même le petit Alex, qui était chargé par sa mère d'aller dérober des bouteilles d'alcool dans le cellier, aurait pu vouloir mettre un terme à ce petit jeu... Mais plus le docteur Welchmann tente de faire la lumière sur cette affaire, afin d'aider son patient à s'affranchir de ce traumatisme, plus il se retrouve impliqué personnellement dans ce drame familial qui lui était pourtant parfaitement étranger, jusqu'à être atteint, de la manière la plus tragique qui soit, au sein même de son couple. Dès lors, il lui appartient de se battre contre tous, à la fois pour mettre au jour les anciens secrets de la famille Brinton et pour empêcher l'effondrement de son propre foyer...


Publié en France en 1982, cette oeuvre complexe, à mi-chemin entre le policier, le roman de moeurs et le thriller psychologique, est malheureusement passée trop inaperçue, douée d'une intrigue particulièrement enchevêtrée, remarquablement construite et véritablement haletante, avec des personnages qui, comme lors d'un  , vont successivement s'accuser eux-mêmes, pour des motifs bien précis. Et c'est, en filigrane, toute la critique d'une Amérique hypocrite et puritaine qui ressort de ce roman : ce scandale étouffé de la mère alcoolique qui tombe de l'escalier de la cave, une bouteille de whisky à la main, le père qui se remarie avec l'infirmière de sa femme, un peu rapidement au goût de certains, le médecin de famille, un peu trop impliqué dans la vie de la famille Brinton pour être honnête, Kate,  gloag.jpgla fille aînée, qui cache une sexualité "déviante" sous de grands airs et un profond mépris pour la société contemporaine, Alex, le fils, dans un parfait rôle de naïf qui va faire  magré lui ressurgir tous les secrets enfouis de sa propre famille... Jusqu'à l'épouse du Dr Welchmann, elle-aussi liée à l'histoire scandaleuse et sulfureuse des Brinton. Mais le véritable héros reste le psychiatre lui-même, perché sur ses certitudes et s'exprimant sur un ton affreusement péremptoire et paternaliste au début du roman, et qui va peu à peu s'affranchir de ses positions et de ses jugements, à mesure que son propre ménage s'écroule, entraîné par le poids des secrets de la famille Brinton. Le style du roman est agréable, fluide, et ne dévoile rien qui puisse aider le lecteur à se faire une idée sur la tragédie en cinq actes qui se déroule devant lui, et dont le prélude a été joué voici quatorze ans... Rarement on a pu voir une intrigue policière aussi rigoureusement construite, et partant d'éléments aussi peu révélateurs, tellement éloignés des mises en scènes macabres et des règlements de compte sur fond de crimes passionnels qui prolifèrent dans les romans actuels. Avec une tonalité minimaliste, des personnages volontiers volubiles mais qui ne disent que ce qui peut les arranger, souvent au mépris de la vérité et selon un mécanisme complexe de motivations personnelles, et un style extraordinairement minutieux, mais qui paradoxalement, ne fait qu'ajouter à la confusion ambiante, Julian Gloag a construit un roman injustement oublié, et qui mérite pourtant qu'on s'y arrête, malgré quelques imperfections et quelques longueurs.   3,5 étoiles

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