Tout commence dans une boîte de nuit de Los Angeles. Le héros : un jeune bellâtre du nom de Rock Bailey, coqueluche de ces demoiselles mais qui a décidé de conserver coûte que coûte sa virginité jusqu'à ses vingt ans.

     Pour l'instant, toute sa vie consiste à repousser avec plus ou moins de conviction les ardeurs de ses nombreuses prétendantes, mais ce soir-là, tout va basculer : Rock Bailey est drogué, enlevé, déshabillé et enfermé dans une chambre en compagnie d'une charmante jeune fille aussi dénudée que séduisante. L'objectif est clair, et Rock a bien du mal à résister à la tentation. Il parvient néanmoins à s'échapper, et quelques représailles dégradantes plus tard, il est relâché en pleine nature. Lorsqu'il retrouve ses amis au night-club, il apprend qu'on vient d'y découvrir le cadavre d'un malfrat, manifestement empoisonné. La police est sur les lieux, mais Rock et ses amis décident de mener leur propre enquête, et ne tardent pas à découvrir que cet assassinat et la rocambolesque aventure nocturne du héros sont beaucoup plus liés qu'il n'y paraît.

     Tout s'enchaîne à un rythme effréné : courses poursuites en voiture, fusillades, bagarres, le tout parsemé de jolies jeunes filles en voulant toutes à l'intégrité physique de notre héros. Les apprentis détectives vont se retrouver sur la piste du mystérieux docteur Schultz, qui pratique des opérations chirurgicales abominables dont les photos circulent sous le manteau parmi la pègre. Pour l'instant, l'objectif réel de ces manipulations échappe à nos héros, mais ce qu'ils vont finir par découvrir est aussi épouvantable que visionnaire...

 

     Avec ses personnages et ses situations improbables et son titre énigmatique en forme de slogan politique, ce pastiche de roman noir américain, publié sous le pseudonyme récurrent de Vernon Sullivan par notre Bison Ravi national, fait figure aujourd'hui d’œuvre avant-gardiste, évoquant, sous couvert de l'humour et de la parodie, la question particulièrement actuelle de l'eugénisme et de l'éthique dans la recherche médicale et scientifique.

     Bien sûr, Et on tuera tous les affreux reste un roman policier à part entière, avec son lot de malfrats, de coups tordus et d'espionnages rondement menés, mais il est aussi bien plus que cela, et c'est ce qui fait à la fois son originalité et sa valeur.

     Dans un style époustouflant et virevoltant, rempli d'argot et de figures de style préfigurant déjà les célèbres mots-valises, ce roman ce lit comme on déguste une gourmandise : avec un plaisir coupable mêlé de ravissement. La grande force de cet ouvrage tient aussi, bien évidemment, à son inventivité, si caractéristique de l'écriture de Boris Vian, ainsi qu'à son humour, perceptible à chaque page, à chaque phrase, par le biais de remarques décalées, de situations de plus en plus farfelues ou de personnages aux revirements pour le moins inattendus, tel le fameux Rock Bailey qui se découvre finalement une grande appétence pour les plaisirs charnels, lui qui entendait préserver sa chasteté jusqu'à ses vingt ans. Le docteur Schultz est un personnage complètement loufoque lui aussi, et qui désarçonne le lecteur à plusieurs reprises : alors qu'on s'attend à découvrir un croisement entre Frankenstein et le docteur Moreau, on tombe finalement sur un idéaliste parfaitement sensé, dont certes les opinions font froid dans le dos, mais qui n'a rien d'un savant fou, bien au contraire.

     Même si l'on peut reprocher à ce roman quelques facilités, une confusion grandissante au fil des pages ou un dénouement un peu expédié, Et on tuera tous les affreux reste néanmoins le meilleur exemple d'ouvrage combinant roman d'anticipation et pastiche de polar à l'américaine, bien plus proche, pour sa tonalité et son esprit de dérision, de l’Écume des jours que du glaçant J'irai cracher sur vos tombes. 3 étoiles

 

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